Anna Gold

Monsieur,

   Je souris en pensant que je perturbe vos habitudes, mais n'est-ce pas agréable de changer parfois de rôle ? La vie est parfois si prévisible que  les altérations de routine sont quelques fois les bienvenues.
   Aujourd'hui, je me serais bien privée de modification dans mon emploi du temps : j'ai été ainsi frustrée du plaisir d'admirer vos efforts physiques. Surtout, ne prenez pas ombrage lorsque je vous décris en pleine action. J'aimerais marier cette attirance des sens physiques à une connivence des âmes. C'est pour cela que je persisterai à vous écrire en espérant que vous me répondiez.
   Cette lettre s'accompagne pour moi aujourd'hui d'une contravention, mais je n'en ai cure, car il  fallait que je dépose votre pli sous l'essuie-glace.
   Je vous laisse enquêter sur un éventuel complice, mais je puis déjà vous assurer que votre tentative de détective sera vaine.

   Adieu ou à bientôt,

Madame ou Mademoiselle A,

  
Je ne cesse de m'interroger à votre sujet.
    Etes-vous célibataire, mariée ?
    Etes-vous très jeune ou l'âge vous a rendue encore plus séduisante ?
   J'ai déjà compris que vous êtes à la fois une femme moderne et une dame qui aime s'exprimer de manière littéraire. Je crois que j'apprécie beaucoup votre audace ou votre
impudence.

Monsieur,

   Rassurez-vous : ni mon statut familial, ni les années ne peuvent vous embarrasser.
   Je suis heureuse que vous ayez découvert mon plaisir d'écrire et ma manière de rédiger. Je tiens néanmoins à vous rappeler que la pose de billets sur votre pare-brise fut complètement spontanée et n'a nullement répondu à une aspiration littéraire. Ma motivation première persiste : vous connaître, vous apprécier pour associer l'instinct à l'esprit.

   Adieu ou à bientôt,

Madame ou Mademoiselle A,

   J'aimerais moi aussi pouvoir associer le plaisir de vous contempler et le lent apprentissage de connaître  l'autre.
   Pourquoi me refusez-vous toute indication sur votre physique ? Je ne peux m'empêcher d'imaginer votre apparence...
   Donnez-moi un quelconque renseignement sur vous.

Monsieur,

   J'ai l'impression que vous exigez. Seriez-vous un homme dictateur. L'assouvissement de vos besoins, de vos demandes ne souffre-t-il jamais d'aucun retard ? Je n'avais pas pressenti cela lorsque je vous observais. J'avais cru déceler le
fair play, l'esprit sportif en vous.
   Je conçois bien que vous soyez en position aveugle et que cela n'est peut-être pas tout à fait confortable. Néanmoins, je vous prie de vous laisser aller.
   Je ne suis pas du tout surprise que vous aimeriez associer un visage à celle que vous nommez
Madame ou Mademoiselle A. Les hommes y attachent, semble-il, beaucoup d'importance. J'imagine que vous consacrez beaucoup de temps à vos entraînements. Vous devez donc être particulièrement sensible au paraître.
La beauté extérieure est tellement
glamorisée dans les magazines que cela m'énerve prodigieusement. Hier, les femmes étaient replètes et faisaient le bonheur des peintres et des sculpteurs. Aujourd'hui, elles sont anorexiques et répondent à des critères qui me semblent standardisés. Plaire signifie donc à présent être en conformité avec une image préfabriquée. Pour séduire l'homme, la femme actuelle se prive de manger pour être appétissante ! Pire : elle utilise la chirurgie esthétique en dépit du bon sens et se fait littéralement couper en morceaux. 
   L'homme actuel a bien compris le système. Sa compagne le spolie  consciencieusement de son autorité ancestrale. Il doit apprendre à partager... même les tâches quotidiennes; il perd en quelque sorte son identité de mâle tout puissant. Sa seule défense, son ultime arme réside alors à viser le point faible de sa compagne, à savoir son apparence. Il lui reproche ainsi son adéquation ou non aux canons de la beauté squelettique générés par notre société mercantile qui vend à hauts prix une multitude de produits pour maigrir. De cette manière, l'homme récupère sa superbe et la femme perd une confiance chèrement et fraîchement gagnée.
   Je vais m'arrêter ici. Je n'ai pas envie que vous pensiez que je défends les rondes ou les laides parce que j'en fais partie…
   Adieu ou à bientôt,

Madame ou Mademoiselle A,

   Je ne pensais pas déclencher une telle avalanche de commentaires en m'interrogeant sur votre visage, votre silhouette. Je conçois fort bien que
de parler d'apparence n'était pas tout à fait approprié. Je comprends que cela pourrait évoquer une attitude masculine trop vite portée sur le plaisir des sens. La gent féminine préfère être courtisée. C'est l'éternel affrontement des sexes : l'homme est direct et la femme aime qu'on lui accorde du temps.
    Cependant, je ne voudrais pas que nous soyons sur un champ de bataille et je vous dépose mes armes. J'ai en effet décidé de ne plus jouer au détective : la secrétaire du club pourra vous l'affirmer.
   Ne suis-je pas raisonnable ?

Monsieur,

   Avez-vous vraiment déposé les armes ? Puis-je vous croire ?
   Je vous ai vu vous précipiter vers votre voiture, en short et T-shirt trempés de sueur et les cheveux en bataille.
   Pourquoi n'acceptez-vous pas que je mène le jeu ?

   Adieu ou à bientôt,

Madame ou Mademoiselle A,

   Vous vous trompez : j'avais oublié quelque chose dans ma voiture.

Madame ou Mademoiselle A,

   J'avoue : je voulais vous voir.
   Répondez-moi s'il vous plaît.

Monsieur,

   Votre attitude m'a fortement inquiétée. Je m'interrogeais sur la difficile question  du mensonge.
   Pourrions-nous établir une relation basée sur la sincérité sans ces faux-fuyants qui gâchent toute relation ? N'est-ce pas un leurre d'espérer que l'on accepte ses défauts et que, sans crainte d'être jugé ou d'être rejeté, on puisse montrer son visage à l'autre ?
   Quel est le vôtre ?

   Adieu ou à bientôt,

"Tout auteur dramatique est responsable de ses actes." (Jules Renard)
"L'artiste est le créateur de belles choses." (Oscar Wilde)